Séries
"Pose" : on aime la nouvelle série révolutionnaire de Ryan Murphy par Emilie Semiramoth
Publié le Mercredi 13 Juin 2018
L'infatigable Ryan Murphy ne cessera décidément jamais de nous surprendre. Après avoir remis l'anthologie d'horreur ("American Horror Story") puis criminelle ("American Crime Story") au goût du jour, le voici qui met en lumière la "ball culture" dont fait partie le voguing. Un mouvement aussi bien artistique que politique.
© Fox
La culture ballroom
Le voguing, pour les néophytes, ce n'est pas que cette danse aussi excentrique qu'élégante et rendue célèbre par Madonna avec son tube "Vogue" en 1990. A l’époque, la pop star s'est appropriée la chorégraphie de base – qui s'inspire des poses des mannequins dans le Vogue américain – sans créditer celles et ceux qui l'ont inventée et qui, depuis tout ce temps, manquent cruellement de reconnaissance. Ryan Murphy est en passe de réparer cette injustice avec Pose. Ses héroïnes sont des femmes trans, noires et latinas. Elles ont fondé leurs houses, dont elles sont les mothers. Chaque semaine, elles se défient dans des "balls" durant lesquels tout le monde danse fièrement et défile selon des catégories et des thèmes définis. Ces rassemblements accomplissent la part de rêve de tous les participant·e·s : accéder aux mêmes privilèges que les autres et voir leur beauté enfin reconnue. Un seul mot pourrait qualifier ce rendez-vous : flamboyance. On est en 1987 à New York et cette petite communauté est marginalisée et exclue du reste de la société.
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Famille de substitution
Rejetés par leurs familles, les membres de la culture ballroom recréent une cellule familiale en se réunissant. Mais celle-ci s'éloigne des archétypes du patriarcat. Dans chaque house, c'est la mother qui dirige. Elle prend en charge ses kids en leur offrant un toit, en payant les factures et en veillant sur eux. C'est le seul endroit où chacun·e est reconnu·e pour son identité propre et peut enfin se sentir en sécurité. Ce qui n'empêche pas les chamailleries et les besoins d'émancipation parfois au sein d'une house. C'est d'ailleurs comme ça que l'histoire de Pose démarre. Blanca en a assez du despotisme d'Elektra, la mother de la House of Abundance. Elle décide de devenir à son tour une mother et fonde la House of Evangelista. Cette dernière recueille Damon, un jeune gay jeté à la rue par ses parents et destiné à un grand avenir dans la danse. Avec Angel et Papi, ils forment non seulement une nouvelle house mais avant tout une famille soudée et aimante.
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Une révolution politique
C'est la première fois qu'un casting réunit principalement des femmes trans et des gays, tou·te·s noir·e·s et hispaniques. De plus, quasi inconnu·e·s du grand public. Les seuls personnages blancs sont secondaires mais sont tenus par des têtes d'affiche : Evan Peters, Kate Mara, James Van Der Beek. Une inversion totale des paradigmes télévisuels. Surtout, Pose s'applique à raconter les vies de personnes ostracisées encore aujourd'hui par une majorité imposante. La visibilité étant l'une des clés dans le combat politique des personnes LGBTQ+, Pose plante les jalons pour l'acceptation des trans par l'ensemble de la société. Pour couronner le tout, la série ne se contente pas de mettre des femmes trans à l'écran, elle aborde également des thèmes délicats, tels que le travail sexuel et l'épidémie du VIH, avec beaucoup de tact et de justesse.
Mais il n'y a pas que dans le fond que Pose marque des points. Dans la forme aussi. Les scènes de "balls", plus sublimes les unes que les autres, illustrent toute la créativité déployée chaque semaine pour faire un spectacle légendaire. Les personnages sont tous formidablement incarnés, mais on délivre une mention spéciale à Elektra qui est déjà en passe d'entrer dans le cercle très privilégié des garces les plus cinglantes et magnifiques des séries télé. Elle ferait presque passer Alexis Carrington (de la série Dynastie) pour une enfant de chœur...
"Pose", une série créée par Ryan Murphy, Brad Falchuk et Steven Canals avec MJ Rodriguez, Indya Moore, Dominique Jackson...